DANS L'ATELIER DU CHARRON
L’enrichissement : l’une des quatre missions permanentes d’un musée
L’enrichissement des collections constitue l’une des missions fondamentales des musées de France, et tout particulièrement des musées de société. L’acquisition, à titre onéreux ou non, est le premier maillon de ce processus. Cet acte à la fois scientifique et administratif n’est pas anodin. Il entraîne tout un engrenage (financier, humain, technique) pour permettre la meilleure conservation possible de l’objet.
Au commencement, une proposition généreuse
Le 5 janvier 2022, le musée reçoit une proposition de don émanant des héritiers de Marius Berthaud, dernier charron de Rognonas. Ils souhaitent sauver un maximum d’objets de l’atelier d’où sont sortis pendant des siècles charrues, charrettes, chariots, chars à banc et autres corbillards...bref tout ce qui circule sur des roues de bois et de métal. Le temps presse : celui-ci doit faire place à un projet immobilier.
Nos équipes se sont donc rendues rapidement et par deux fois dans l’atelier, d’abord, pour un premier repérage, et puis pour un travail de triage, de numérotation et d’étiquetage des objets. Une véritable collecte ethnographique s’organise.
Lors de ces visites, Julien Berthaud expose ses photographies numérisées de l’atelier aux professionnels du musée. Ces images en noir et blanc nous permettent de « nous concentrer sur les formes et les espaces plutôt que d’être distrait par les couleurs » souligne l’artiste. Après son voyage au Mexique, il semble saturé d’un trop plein de couleurs et voit dans la photographie noir et blanc un terrain de jeu idéal. Le photographe présente deux séries sur l’atelier, l’une descriptive, comprenant une trentaine de clichés, et une autre plus artistique.
En cédant ses droits patrimoniaux, l’artiste, qui ne paie que le prix de l’impression, s’inscrit dans une véritable démarche patrimoniale.
Un lien fort avec le territoire
Le Museon Arlaten a communiqué en amont avec le MUCEM, ancien musée national des Arts et Traditions populaires qui l’a encouragé à accepter ce don remarquable. La charrette de pastrage exposée dans la salle festadiero de notre musée a été réparée par le charron Marius Berthaud et montre en quoi ce don s’inscrit dans le projet scientifique du musée. Originaire des Baux-de-Provence, elle fut utilisée lors de la fête du Pastrage qui se déroule encore de nos jours dans plusieurs villages de Provence. Durant cette procession, un agneau est déposé dans une petite charrette joliment décorée de rubans et de fleurs et tirée par un flouca (bélier). Le défilé de gardians, bergers et animaux s’accompagnent de chants provençaux. Cet agneau est ensuite confié au prêtre pour la bénédiction : il assure ainsi la protection de tous les troupeaux. Le musée fait donc la part belle à la figure centrale du charron dans la civilisation rurale.
Véritable dynastie d’artisans charrons
La date de création de l’atelier n’est pas certaine. L’année 1868 est inscrite sur la pilier central de l’atelier et la date retenue de 1843 correspond en fait au plus ancien livre de compte retrouvé. Mais, l’arbre généalogique de cette famille remonte au XVIIIe siècle. « C’est donc une dynastie : le métier s'est transmis de père à fils ou à gendre ! » indique Ghislaine Vallée, attachée de conservation du patrimoine. On repère différentes strates d’activités, comme autant de traces du passé, avec les outillages et les imposantes machines. Durant le dernier siècle, les activités de l’atelier se sont diversifiées avec la fabrication d’outils ou de jouets. En effet, le cœur du métier est la maitrise de la roue grâce l’utilisation de bois et de fer. L’industrialisation a mis à mal cette production artisanale.
Inventaire, un acte réglementaire et précieux
Dans l’attente de l’avis de la commission scientifique régionale d’acquisition organisée par la DRAC, nos équipes ont dépoussiéré, mesuré, photographié et marqué les objets récupérés sur le site. Depuis l’avis favorable rendu le 13 novembre, elles saisissent peu à peu les notices informatisées. En remplissant chaque rubrique (mode d’acquisition, nom de l’ancien propriétaire, date d’acquisition, description scientifique détaillée, etc.), l’histoire de l’objet est conservée et le musée va pouvoir prouver son droit de propriété.
À titre d’information, un numéro d’inventaire se compose de 3 ou 4 groupes de numéros : l’année d’acquisition de l’objet, le numéro de dossier d’acquisition, le numéro de l’objet en propre et éventuellement le numéro de partie démontable. De cette façon, l’objet peut se retrouver facilement : il possède une identité unique !
Ce don de l’atelier de charronnage fait croître les collections du musée de plus de 129 numéros et double l’accroissement annuel habituel. « C’est énorme ! Et, nous aurons besoin de plusieurs mois pour terminer l’inventaire » affirme Ghislaine Vallée. Ces objets abandonnent leur sens premier, leur usage, pour devenir objets de musée inaliénables et imprescriptibles. Cette patrimonialisation menée par les professionnels du musée paraît autant essentielle que délicate : il est de leur responsabilité de choisir ce qui constitue la mémoire collective d’aujourd’hui et de demain.
