Visuel principal
Dans le Nord d'Arles

LES INONDATIONS D'ARLES : UN TERRAIN (ETHNOGRAPHIQUE) SENSIBLE.

Chapeau
L'évènement du "temps court", de l'exceptionnel, de l'impensable, constitué par les mises en récit de l'inondation, peut a priori sembler intrinsèquement opposé à l'essence du terrain ethnographique, fondé sur un processus de "temps long". C'est pourquoi l'enquête réalisée auprès des victimes des inondations de décembre 2003 s'est déroulée plus d'un an après les évènements.
Corps

Dans le cas d'une catastrophe, il est impossible, tant d'un point de vue éthique que pratique, de réaliser l'enquête au moment des faits, par le biais d'une "observation participante" : en matière d'ethnographie, la catastrophe reste systématiquement un discours de l'après. Malgré tout, et du fait de cette chronologie décalée, l'approche ethnographique donne des clefs de compréhension inédites sur le phénomène des inondations : en s'intéressant au quotidien qui se recompose après le désastre, aux interactions inédites provoquées entre les habitants, elle met en lumière les dynamiques mémorielles et identitaires qui émergent au sein de la communauté touchée par la catastrophe.

Les inondations à Arles : une histoire ancienne

Avenue Stalingrad
Avenue Stalingrad. © Jean Roché, 2003
Avenue Stalingrad. © Jean Roché, 2003

Bien que la crue de décembre 2003 reste, pour la plupart des Arlésiens, une catastrophe sans précédent, les inondations ne constituent pas un phénomène récent pour une commune qui, s'étendant sur toute la Camargue, d'Arles à la mer, est coutumière des aléas du Rhône et du canal du Vigueirat. Les archives conservent ainsi les traces des quelques 85 crues de référence, qui se sont succédées depuis le début du 16e siècle sur ce vaste territoire, inondable à 86%.

La population avait autrefois appris à composer avec ces évènements, mais certains épisodes ont toutefois durablement marqué les esprits. Parmi eux, la terrible inondation de 1856, décrite par Mège, un chroniqueur local : "A ce moment, le débordement est complet, immense, inouï. La Camargue et le reste de notre territoire ne présentent plus qu'une vaste nappe d'eau [...] En quelques heures, tout a été perdu, et les plaines de Camargue, le Trébon et le Plan-de-bourg sont couverts d'eau. La perte est immense. Plusieurs millions pour Arles seulement. Les chaussées de Camargue ont servi de refuge à une grande quantité de troupeaux que les malheureux fermiers ne savent comment nourrir."

L'importante politique d'endiguement mise en place par Napoléon III suite à cet épisode donne l'illusion trompeuse que la ville est désormais à l'abri de ce type de catastrophe.

Si, à la campagne, on continue à vivre au rythme des débordements du fleuve, les Arlésiens de la ville perdent peu à peu la mémoire des inondations. Elle sera violemment réactivée dans la soirée du 3 décembre 2003... 

Le récit de la catastrophe

Scène de ravitaillement
Scène de ravitaillement. © Jean Roché, 2003
Scène de ravitaillement. © Jean Roché, 2003

Comme toujours lorsqu'il est question de raconter une catastrophe, le récit des témoins de l'inondation d'Arles revêt une importante dimension collective, publique.

Quand bien même elles évoquent des vécus singuliers, ces histoires, déjà constituées, ont été élaborées dans des pratiques de mise en commun du drame, d'échanges avec les proches, de transmission vers les personnes extérieures.  Elles se fondent sur des champs sémantiques récurrents, désignant alternativement des victimes et des héros.

C'est en connaissance de cause que l'ethnologue pourra faire émerger, entre les lignes, la dimension sociale et identitaire qui en découle.

Au-delà du bilan des dégâts, ce que produit la catastrophe

Le regard ethnographique permet de constater que la catastrophe est loin d'avoir pour unique conséquence des phénomènes de destruction : au-delà de la réalité tragique de la perte de biens matériels, il s'intéresse à l'évènement en tant qu'expérience sociale, vécue collectivement. Il révèle la dimension fédératrice et créatrice qu'elle peut revêtir à l'échelle de la communauté des "inondés".

< >
Ballet d'hélicos
Ballet d'hélicos © Jean Roché, 2003
Ballet d'hélicos © Jean Roché, 2003
Désespoir à Trinquetaille
Désespoir à Trinquetaille. © Jean Roché, 2003
Désespoir à Trinquetaille. © Jean Roché, 2003
Vue aérienne
Vue aérienne © Jean Roché, 2003
Vue aérienne © Jean Roché, 2003
Un jardin inondé
Un jardin inondé Bois d'Estaing © Jean Roché, 2003
Un jardin inondé Bois d'Estaing © Jean Roché, 2003
Le nettoyage
Le nettoyage © Jean Roché, 2003
Le nettoyage © Jean Roché, 2003
Secours, avenue Stalingrad
Secours, avenue Stalingrad. © Jean Roché, 2003
Secours, avenue Stalingrad. © Jean Roché, 2003

 

En vidéo : " Le sentiment d'appartenance à un territoire peut surgir des circonstances les plus inattendues".

Arles : la mémoire des inondés de 2003