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La Prégarelle

LA RESTAURATION DES DIORAMAS, "IMAGES DE LA TRADITION"

Chapeau
Les dioramas, images grandeur nature de scènes ethnographiques, ont constitué jusqu’à la fermeture du Museon pour travaux un ‘’incontournable’’ aussi bien pour la population locale en quête de racines que pour le public touristique à la recherche d’un pittoresque local. Les présenter à nouveau a nécessité un travail en profondeur de conservation et de restauration.
Corps
Diorama de la Veillée à l'accouchée
Diorama de la Veillée à l'accouchée, après restauration. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Diorama de la Veillée à l'accouchée, après restauration. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Présenter à nouveau ces dioramas mistraliens, dans le même lieu et selon les mêmes principes, s’avérait à priori un véritable défi en terme de conservation. En effet, malgré des vitrages de protection et un usage récurrent, parfois même agressif, de produits de désinsectisation, les éléments composant ces dioramas, présentés de manière continue depuis plus d’un siècle, avaient subi de lourds dommages souvent irréversibles. Les conditions climatiques auxquelles ils avaient été soumis, leur surexposition à la lumière, leur infestation par des insectes, leurs détériorations structurelles dues à une présentation prolongée les avaient dégradés et avaient même modifié l’aspect visuel qu’ils avaient à l’ouverture du Museon Arlaten. Les choix de restauration d’un tel ensemble s’avéraient d’autant plus délicats qu’ils devaient aussi répondre aux exigences d’une conservation préventive intégrée au projet muséographique. Il a donc été nécessaire d’inventer des solutions différenciées et adaptées à chaque cas.

Les éléments vestimentaires qui pouvaient être consolidés ou restaurés sans problème majeur, sont à nouveau présentés après des interventions classiques de conservation/ restauration dans une fidélité au dispositif d’origine. Mais, d’autres devaient impérativement être remplacés, faute de quoi leur disparition serait imminente. L’analyse critique préalable menée sur ces dioramas a fourni des données utiles pour sauvegarder ces ensembles, véritables «images» de la Provence traditionnelle dont la cohérence ethnographique et l’aspect visuel originel devaient être restitués. De manière systématique, documentation historique et localisation ont été croisés avec les contraintes propres au diorama et à sa signification première.

Objets et mannequins

La Dame à l'oeuf
© Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
© Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Au terme de constats d’état approfondis réalisés par des restaurateurs d’œuvres, certains éléments constitutifs comme le mobilier, les objets domestiques et les éléments assemblés en «décor», n’exigeaient aucune solution spécifique et ont rejoint sans difficulté les lots dont la restauration était déjà programmée. Leur présentation sera cependant améliorée grâce à une maitrise du climat à l’intérieur des dioramas, à de nouveaux modes d’éclairage et chaque fois que cela se révélait nécessaire, à des soclages invisibles prévus pour réduire notamment les tensions mécaniques des textiles ou des matériaux les plus fragiles.

La restauration des mannequins, devenus collection au terme d’une inscription rétrospective à l’inventaire du musée, s’est révélée plus complexe et a motivé deux types d’intervention. Les têtes et les mains modelées en plâtre puis peintes par C.A Férigoule, précieuses collections d’anthropologie physique selon les principes du XIXè siècle, ont été abordées comme des sculptures et bénéficient actuellement de traitements en phase avec leurs matériaux constitutifs. En revanche, les corps des mannequins constitués de matériaux hétéroclites mais globalement stables (armatures de bois, métal et bandes plâtrées), ont été, après radiographies, légèrement limés puis enveloppés d’une housse/écran de jersey de coton protégeant des aspérités et des effets néfastes des matériaux de l’ossature sur les textiles tout en préservant la morphologie d’origine.

Ce qu’il a fallu se résoudre à changer

Mais certains éléments composant ces dioramas avaient subi de telles dégradations que des substitutions ont du être envisagées. Les perruques en cheveux naturels tressés mécaniquement et fixés sur une calotte de tulle, datées pour la plupart de 1898, parfois signées «Campèche perruquier», étaient fortement endommagées voire détruites à certains endroits par les insectes kératinophages. Or la coiffure traditionnelle arlésienne qui mêle cheveux et rubans nécessite impérativement une masse importante de cheveux toujours visible puisque enroulée en bandeaux et relevée en une sorte de chignon autour d’un peigne. Après quelques tentatives peu concluantes et coûteuses de réimplantation de mèches par des restaurateurs, les perruques ont été soigneusement déposées, et mises en réserve dans un conditionnement assurant leur conservation dans la durée. Elles sont à présent remplacées grâce à la complicité de perruquiers de spectacle, fins connaisseurs des techniques du postiche, par des facs similés de perruques en cheveux naturels européen, de même nuance, réalisées selon les techniques de la fin du XIXe siècle. Bien évidemment, cette substitution est explicitée dans le dispositif multimédia de médiation placé en regard des dioramas.

Dans le diorama de la Veillée calendale après restaurations.
Dans le diorama de la Veillée calendale après restaurations. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Dans le diorama de la Veillée calendale après restaurations. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Mais ce sont les vêtements traditionnels qui posaient les problèmes les plus épineux qu’ils s’agissent des vêtements collectés en pays d’Arles entre 1896 et 1909 pour le Museon Arlaten dans la perspective de constituer une collection ou de ceux réalisés spécifiquement pour les dioramas, dans un souci de vraisemblance historique ou formelle.

Des constats d’état approfondis ont permis d’adapter et de hiérarchiser les interventions. Certaines pièces textiles pouvant affronter une nouvelle présentation par rotation dans une perspective de conservation préventive ont été restaurés/consolidés. Ils bénéficieront à l’avenir de supports invisibles sur mesure atténuant les tensions, comme les jupons dits de conservation préventive ou des rembourrages en matériaux neutres adaptés à chaque pièce.

Les éléments vestimentaires ne pouvant être présentés à nouveau, seront déposés et remplacés en raison de leurs dégradations irréversibles. Or les collections du Museon Arlaten, quoique très riches, présentent, aujourd’hui comme en 1897, des lacunes dans la collection de vêtements répondant avec précision à la narration de chaque diorama.

Une expérimentation nécessaire

Une réflexion collégiale et une approche expérimentale de solutions prenant en compte l’histoire des dioramas, leur signification, leurs objectifs didactiques s’imposaient donc. Il fallait recenser les solutions techniques existantes et en imaginer d’autres, adaptées à chaque cas de figure. Cette opération fut menée avec, entre autres, Patricia Dal Pra, restauratrice textile et Carmen Lucini, ingénieur textile, spécialisée en histoire des textiles et mannequinage, leurs assistants, des restaurateurs et l’équipe de conservation du musée.

Copies d'évocation

Diorama. Un exemple de copie d'évocation
Robe de la "Dame à l'allumette" : un exemple de copie d'évocation, réalisée à partir des patrons des pièces originelles. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Robe de la "Dame à l'allumette" : un exemple de copie d'évocation, réalisée à partir des patrons des pièces originelles. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Les premiers échanges étayés sur la documentation réunie et les constats d’état ont permis de s’orienter vers la conservation/restauration d’une «image», celle que constitue chacun des dioramas réalisés par Frédéric Mistral et ses collaborateurs. «Une image de la tradition» devenue aussi patrimoine dans le regard de générations de provençaux jusqu’à générer une véritable tradition orale. L’illusion visuelle que procurait cet ensemble à l’origine a donc été considérée comme l’un des repères essentiels dans les interventions envisagées qui ne pouvaient qu’être atypiques, adaptées et réversibles.

Lorsque les vêtements confectionnés entre 1897 et 1909 pour les deux dioramas principaux ainsi que ceux réunis dans les collections étaient trop détériorés ou trop fragiles pour être à nouveau présentés, ils ont été déposés, dépoussiérés, conditionnés selon les principes de la conservation préventive. Conservés en tant que patrimoine textile, ils ont aussi fait l’objet d’un relevé réalisé par des professionnels de la haute couture, et sont remplacés par des «copies d’évocation», selon le terme de Carmen Lucini, réalisées à partir des patrons des pièces originelles.

Ces copies s’apparentent aux retouches illusionnistes en usage dans la restauration d’une image dessinée ou peinte ; elles sont réalisées à partir de textiles imprimés numériquement, d’après les vêtements portés par les mannequins, pour s’approcher du coloris, de la texture, de l’usure d’origine. Les clichés nécessaires à ce mode d’impression ont été réalisés dans les replis et les ourlets des vêtements (moins exposés  à la lumière) afin de retrouver l’effet chromatique initial.

Au terme d’un échantillonnage textile exigeant, articulé sur des chartes complexes de couleur et appliqué à différents types de textile pour en vérifier le rendu ou le tombé, les résultats s’avéraient très proches de l’aspect visuel visé. Les dioramas allaient à nouveau s’approcher de l’image de ce qu’ils furent à l’ouverture du Museon Arlaten en 1899.

Gageons qu’en 2021, à nouveau présentés comme des ensembles patrimoniaux dont le contenu, l’histoire, les usages et la restauration sont explicités dans les dispositifs multimédia placés le long de la barre de protection, ces dioramas qui ont contribué à la célébrité du musée mistralien retrouveront leur lustre et leur impact. En tant qu’«image de la tradition» la plus fidèle possible à celle conçue par Frédéric Mistral, ils constitueront toujours à n’en pas douter un moment fort d’un parcours muséographique inédit qui revisitera le patrimoine ethnographique de la Provence, l’histoire du musée lui-même et permettra au visiteur de s’interroger sur les usages, en Provence, de l’histoire et de la mémoire du territoire depuis le XIXe siècle.

 

Retrouvez plus de détails dans l'article complet de Dominique Séréna, ancienne Directrice et conservateur honoraire du Museon Arlaten, replaçant notamment les dioramas du Museon dans l'histoire de la muséographie, ici, dans le Bulletin des Amis du Vieil Arles. 

La Prégarelle de retour au musée.
La Prégarelle de retour au musée. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
La Prégarelle de retour au musée. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Le retour au musée
Le retour au musée. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Le retour au musée. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence