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Après le chantier

LE SAUVETAGE AU LONG COURS DU NEPTUNE

Chapeau
Grâce au soutien de la Fondation Total et de la Fondation du Patrimoine, le Museon Arlaten a pu mener à bien la restauration d'envergure de cette figure de proue, élément central de l'esthétique de la cour du musée.
Corps
Neptune, avant restauration
Neptune, avant restauration. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Neptune, avant restauration. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Le Museon Arlaten, musée départemental d’ethnographie, est riche d’une collection de plus de 37000 objets. Parmi eux, une sculpture monumentale en bois polychrome, imposante et majestueuse, représentant le dieu Neptune, le visage tourné face au vent, le regard plongé vers l’horizon. Il est vêtu d’un drapé flottant sur les épaules, porte une couronne dorée, et une longue barbe finement sculptée. Le Neptune est arrivé au musée par l’intermédiaire de son ancien conservateur Fernand Benoît (1934 - 1944), suite à un don de Mme Révoil en 1938, alors que la figure de proue avait longtemps était exposée dans le jardin de sa propriété, le Château de Servanes à Mouriès

La cour du musée et son imaginaire

Fernand Benoît a fait le choix, dès l’origine, d’exposer le Neptune dans la cour du musée, sous les arcades du préau, en faisant ainsi la première œuvre que le visiteur peut voir à son arrivée. Par sa monumentalité et la beauté de ses traits, cette figure de proue a marqué toute une génération de visiteurs et participe de l’imaginaire collectif qui entoure le Museon Arlaten. Elle a du sens dans le parcours muséographique du Museon Arlaten, notamment la mise en valeur de la cour, orchestrée par Frédéric Mistral (dégagement des vestiges) puis ses successeurs (statuaire, ruines végétalisées). Le Neptune porte en lui les liens que la population entretient avec le musée et s’intègre parfaitement dans l’esthétique romantique de la cour.

Carte postale ancienne de la cour du musée. Le Neptune sous sa voûte
Carte postale ancienne de la cour du musée. Le Neptune sous sa voûte en bas, à droite de la tour.
Carte postale ancienne de la cour du musée. Le Neptune sous sa voûte en bas, à droite de la tour.
Diagnostiquer le Neptune
Diagnostiquer le Neptune. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Diagnostiquer le Neptune. © Sébastien Normand, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Un travail de restauration d’urgence était nécessaire sur cette œuvre au passé riche et mouvementé. Ainsi, dès la fermeture du musée pour rénovation fin 2009, une série d’opérations d’envergure a été déployée pour permettre le sauvetage de cette sculpture, et rendre possible le projet de sa réexposition au cœur du Museon Arlaten rénové. Il s’agissait d’éviter des dégradations supplémentaires de la structure bois très fragilisée, et de redonner une lisibilité aux traits du Neptune, révélant les qualités esthétiques de l’oeuvre.

Ravages et finesse

La sculpture en bois résineux est formée d’une pièce principale de grande section pour le tronc, la tête et le drapé, et de pièces de bois rapportées et assemblées pour les bras et épaules, les cheveux, et certains éléments de la couronne. Globalement, le bois présente de nombreuses altérations mécaniques (fentes, pièces mobiles, cassures et arrachements localisés…), fragilisant la cohésion générale du bois. La corrosion sur les clous d’assemblages et les agrafes métalliques apposées sur les fentes créent des fragilités structurelles. Par ailleurs, différents bouchages et comblements mis en œuvre antérieurement s’avèrent préjudiciables. Un important comblement au dos de l’œuvre a été opéré au moment du changement d’usage, de figure de proue inclinée (évidée au dos pour s’insérer sur la proue du navire) à buste décoratif dans un jardin (comblement du dos à base de ciment, briques et mortier ayant permis de stabiliser la sculpture à la verticale). Des bouchages localisés et profonds, au ciment, sont venus combler les fentes du bois ; et des bouchages localisés au mastic de vitrier, les manques en surface. Ces matériaux de comblement interagissent avec le bois et sont instables dans le temps, ce qui accélère les dégradations.

Chirurgie

La couche picturale est composée de nombreuses couches de repeints polychromes (dont la dorure sur la couronne) qui témoignent de la vie de l’œuvre comme figure de proue, régulièrement repeinte au fil des voyages. L'observation sous loupe binoculaire a révélé la présence d'une dizaine de couches. Elles se sont altérées avec le temps, et forment désormais des écailles de 3 à 4 mm minimum, avec empâtements importants, soulèvements, encrassements et lacunes. Ces altérations gênent la lecture de l’œuvre : les traits du visage, les drapés, la chevelure perdent de leur force et de leur finesse.

Céline Aballéa et Nathalie Memeteau consolident le bois de la figure de proue du Neptune.
Céline Aballéa et Nathalie Memeteau consolident le bois de la figure de proue du Neptune. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Céline Aballéa et Nathalie Memeteau consolident le bois de la figure de proue du Neptune. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Le descellement a permis de mieux cerner le rôle joué par les comblements dans la résistance structurelle de l’œuvre. Les données recueillies ont permis de préparer un projet de restauration complet, mais des investigations complémentaires s’avéraient nécessaires. En effet, une restauration est un véritable acte chirurgical qui nécessite une réflexion préalable approfondie avant d’être mis en œuvre. Il restait à mieux comprendre ce que Neptune avait dans le ventre !

En 2011, forte de ce diagnostic préliminaire, l’équipe de restaurateurs dirigée par Céline Aballéa a pu réaliser le descellement en toute sérénité.

En 2012, des radiographies ont donc été réalisées au Cerco (Centre d’étude de restauration et de conservation des œuvres du Museon Arlaten, aux anciens Ateliers SNCF, à deux pas de la Tour Luma) avec un groupement composé d’un restaurateur de la société A-Corros (Philippe De Viviès), de l’entreprise CIE pour les radiographies argentiques, et de l’entreprise MISTRAS, pour les radiographies numériques. Ce travail a permis de cartographier les différents éléments constitutifs de l’œuvre et d’affiner les diagnostics posés en 2010-2011 concernant la structure interne. Cette ultime phase d’étude a confirmé la complexité du projet de restauration à venir…

Application de résine. Neptune
Céline Aballéa applique le mélange de résine et de durcisseur sur les flancs du Neptune. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Céline Aballéa applique le mélange de résine et de durcisseur sur les flancs du Neptune. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Le point de vue ethnographique

Néanmoins, les éléments techniques étaient suffisants pour pouvoir déterminer les objectifs du traitement, séquencer les étapes de la restauration, définir les compétences à réunir, établir un calendrier de travail, et estimer un budget de réalisation. Il ne s’agissait bien entendu pas de restituer un état neuf initial, mais d’améliorer la lisibilité de l’œuvre (intervention sur les couches de repeints) tout en respectant son histoire et les évolutions de son usage, et en consolidant la structure bois (intervention sur le comblement interne et les altérations du bois) pour une conservation satisfaisante en situation d’exposition à l’extérieur, sous abri. L’histoire de la pièce, exposée comme buste et non plus comme figure de proue dans la propriété de la famille Révoil, invitait à conserver la présentation verticale. Le projet de restauration ne dénaturait ainsi pas le statut de cette œuvre à plusieurs vies, et se construisait selon une approche ethnographique, en cohérence avec la nature scientifique du Museon Arlaten.

Cette approche ethnographique de la restauration d’une figure de proue était en elle-même assez unique : plusieurs musées en France avaient déjà opéré des restaurations d’envergure de figures de proue, mais il semble que jamais une figure de proue n’ait eu à subir de modifications profondes telles que les comblements du Neptune du Museon Arlaten. La restauration à proprement parler ne pouvait être engagée qu’après une longue et complexe phase de « dérestauration » des interventions antérieures préjudiciables.

Dans ce contexte, le budget estimé de la restauration était conséquent (85.000€, échelonnés sur deux ans) et a pu être débloqué grâce au soutien financier de la Fondation Total qui a contribué à hauteur de 50.000€ par l’intermédiaire de la Fondation du Patrimoine.

« Dérestauration » et restauration

Afin de mener à bien l’opération, un groupement de professionnels aux compétences complémentaires a été sélectionné, dans le cadre d’une procédure de marché public. Il a rassemblé sept personnes : quatre restauratrices de sculptures bois polychrome (Céline Aballéa, Alice Wallon, Nathalie Mèmeteau et Jeanne Cassier), une restauratrice sculpture avec une spécialité en traitement des métaux (Caroline Botbol), un restaurateur d’objets ethnographiques avec des compétences de socleur (Philippe Langot) aidé d’un technicien en restauration (Benoît Jacob). Toute restauration doit se dérouler selon des principes déontologiques précis, et l'ensemble des interventions pratiquées et des produits employés doivent être documentés dans un rapport détaillé.

La sculpture stabilisée
La sculpture stabilisée et un bras à remonter. © Rémi Benali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
La sculpture stabilisée et un bras à remonter. © Rémi Benali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Le cas des repeints

La première phase de travail a donc consisté en des tests et analyses sur les matériaux constitutifs de l’œuvre. Pour la couche picturale, des prélèvements d’échantillons ont par exemple été envoyés à un laboratoire pour analyses (le CNEP-Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand) afin d’étudier la composition, la stratigraphie des repeints et leur degré d’altération. L’analyse a fait apparaître, sur certains prélèvements, plus d’une quarantaine de couches de peinture de couleurs variées et présentant divers états de conservation. Ces analyses ont surtout confirmé le rôle protecteur des repeints les plus récents sur les repeints anciens mieux conservés. Compte tenu de ces éléments et des conditions d’exposition futures de l’œuvre, la conservation du musée, dans sa concertation constante avec l’équipe de restauration, a finalement convenu que l’opération la plus adéquate serait le refixage de l'ensemble des couches peintes existantes, plutôt que l’allègement généralisé des repeints.

Les restaurateurs ont donc procédé à des tests afin de définir les techniques, produits et outils les plus adaptés : ramollissement des écailles au pistolet à air chaud, pose d’un adhésif entre l’écaille et le bois puis remise en forme et refixage à la spatule chauffante ou au doigt selon l’épaisseur des écailles. Ces tests ayant été concluants, il restait à s’assurer que les adhésifs et solvants utilisés pour ce refixage seraient compatibles à long terme avec les matériaux qui seraient utilisés pour le nouveau comblement du buste.

Neptune restauré
Neptune restauré. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Neptune restauré. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Temps forts

L’étape la plus impressionnante de ce vaste chantier de restauration fut certainement celle de l’élimination des mortiers et comblements au dos de l’œuvre. La tâche était d’autant plus délicate que les limites entre les matériaux de comblement et le bois étaient à certains endroits brouillées : aller trop loin dans l’élimination était prendre le risque d’entamer le bois. L’élimination des mortiers entraînait un important dégagement de poussière si bien que les restauratrices ont dû œuvrer sous une cabane de bâches le temps de l’opération, et porter les équipements de protection adaptés. Trois semaines de travail physique dans la chaleur, la poussière, le vrombissement des outils, et le bruit des aspirateurs…

Après deux ans de travail, en 2015, Neptune était restauré et présenté à la presse.

Neptune restauré, de dos.
Neptune restauré, de dos. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Neptune restauré, de dos. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Les aventures de la proue perdue

En parallèle, des recherches approfondies ont été menées pour tenter de lever le mystère qui entoure encore cette figure de proue. En effet, son histoire reste à éclaircir. Le fait qu’elle soit arrivée jusqu’à nous laisse penser que le navire qu’elle ornait n’a peut-être pas fait naufrage au large. Son état indique pourtant que le bois aurait été gorgé d’eau. Pour comprendre ce qui est arrivé, il faudrait trouver trace de la façon dont le navire est « sorti de liste ». A-t-il été capturé ? Ou bien, démoli et alors, seuls quelques éléments auraient été récupérés ? Un démantèlement du navire aurait-il pu faire suite à un combat qui aurait causé des dommages ? Enfin, quels sont les événements à l’origine de la deuxième vie de la figure de proue comme buste décoratif dans la propriété de la famille Révoil à Mouriès ?

Quant à sa datation, des éléments, iconographiques notamment, tendent à montrer que cette figure de proue serait reliée à l’histoire des constructions navales du XIXe siècle en Provence ainsi qu’au maître sculpteur Jean Bonifay en service au port de Toulon de 1845 à 1872. Pourtant, sa taille imposante ainsi que la qualité de son exécution et la présence de dorures laissent présager un usage sur un imposant bâtiment de plus de soixante-dix canons. Plusieurs navires de ce type et nommés « Neptune » ont été recensés, mais au XVIIIe siècle, à Toulon et à Brest.

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Neptune restauré. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Neptune restauré. © Rémi Bénali, Cd13 – Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

Pour aller plus loin :

-un article complet sur la restauration du Neptune, par Aurélie Samson, directrice par interim du Museon Arlaten et Céline Aballéa, restauratrice sculpture mandataire du groupement de restauration dans le Bulletin des Amis du vieil Arles.

-un article sur l'odyssée de cette figure de proue, du grand large à la cour du Museon, par Aurélie Samson, directrice par interim du Museon Arlaten et Stéphanie Burli, assistante de recherches documentaires, de nouveau dans le Bulletin des Amis du Vieil Arles