LE MUSÉE SUR LA PISTE DES BERGERS
"Pasteurs éternels"
« La civilisation pastorale est la gardienne vigilante des liens immuables qui existent entre la nature, l’homme et l’animal. Si on supprime cette civilisation, on supprime tout. Et peut-être qu’un jour, elle sera la bouée de sauvetage de notre humanité » disait le berger Pierre Tellène à Jean-Claude Duclos dans l’article « Etre berger transhumant », l’un des temps forts du catalogue de l’exposition du Museon Arlaten, Bergers de Crau, au-delà de l’image (2004).
Les mouvements des bergers transhumants ont à voir avec la fixité, celle d’un imaginaire puissant, qui leur est associé et plonge profondément ses racines : depuis que l’homme occidental écrit, des personnages de bergers - ou de bergères, pensons à Jeanne d’Arc ! - parcourent ses histoires.
Les pasteurs et les agriculteurs sont des personnages des origines, tels Abel et Caïn, fils d’Adam et Eve. Hermès et Apollon les Grecs, Krishna l’Indien mais aussi bien sûr « le bon Pasteur » Jésus-Christ, sont à la fois bergers et divinités.
Les « pasteurs éternels », ces hommes réputés les plus proches de la nature et de ses mystères, ne pouvaient qu’intéresser le Museon Arlaten-musée de Provence, musée ethnographique attaché à l’étude des images et imaginaires, comme à l’observation des traditions dans les sociétés contemporaines.
Si les préoccupations des fondateurs du musée portaient surtout sur la préservation de savoir-faire et de modes de vie, le propos de Pierre Tellène résonne fortement aujourd’hui, alors que l’humanité s’interroge sur son devenir, au miroir des mutations induites par des rapports hommes-nature désormais profondément déséquilibrés.
Museon Arlaten et transhumance, deux chemins qui ne pouvaient que se croiser
La plaine de Crau, vaste triangle situé entre Arles, Salon et Fos-sur-Mer est considérée comme le territoire par excellence des bergers et des moutons mérinos de Provence : elle est en effet occupée par les troupeaux depuis plus de 2 000 ans.
Le Museon Arlaten proposa dès sa création une salle consacrée aux bergers. Le discours développé par Frédéric Mistral s’appuyait sur des objets peu contextualisés, collectés à la fin du 19e siècle et, nous laisse entrevoir encore aujourd’hui un berger ressemblant à Alàri, décrit dans Mirèio : « les genoux boutonnés dans ses guêtres de peaux, et l’air serein et le front sage… », transhumant, graveur talentueux d’objets de bois, réservé mais fier de son troupeau.
Au milieu du 20e siècle, Fernand Benoit, conservateur du musée, confirme son point de vue : « interrogeant le visage mistralien de la Provence, le visiteur y découvre les traits de la vie antique dont les vieilles pierres n’ont conservé que le décor : la vie des bergers de Crau ou des gardians de Camargue, immuables comme leur élevage… ». Il associe la figure du berger à la Crau, l’un des paysages mentaux de ce pays d’Arles qu’il a contribué à construire : « la Camargue est le domaine des manades de chevaux et de taureaux ; la Crau pierreuse, dont l’origine légendaire se rattache aux travaux d’Héraclès, est le domaine des troupeaux qui transhument, l’été, vers les montagnes des Alpes ». Cette conception participa à l’émergence d’un stéréotype, celui du « berger de Crau », alors que l’on comptait de nombreux élevages ovins et activités agropastorales en Camargue également.
Le Museon Arlaten s’efforce aujourd’hui d’interroger ces projections et ces imaginaires, auscultant tout aussi bien les réalités du métier de berger que les derniers développements d’un mythe du retour à la simplicité première. Dans ses collections, figurent plus de 300 objets, tableaux, dessins ou documents racontant, par bribes, un peu du vécu des bergers et de leurs troupeaux. Entre bâtons sculptés, sonnailles, capes, produits vétérinaires, marques et forces de tondeurs, se nichent anciens postes de radio, manuels agricoles, santons, poèmes et dessins.
L’exposition « Bergers de Crau : au-delà de l’image »
Frédérique Roy, ethnologue, a enquêté en 2003 sur les professions liées au pastoralisme : assembleur et revendeur de sonnailles, tondeurs-attrapeurs, éleveurs herbassiers… Son travail, laissant une large place à la parole des individus, permet de découvrir des parcours singuliers et des professions multiples, établissant que le mot « berger » recouvre des réalités multiples. Chacun de ces itinéraires témoigne en outre d’un changement d’activité subi ou volontaire, dessinant ainsi les contours d’un monde pastoral en mutation.
Cette enquête a servi de support à l’exposition « Bergers de Crau : au-delà de l’image ». Le catalogue de celle-ci, toujours en vente, supervisé par Françoise David, Benoît Coutancier et Florence Sizaret, comporte également des contributions de Jean-Claude Duclos, Claude Mauron, Guillaume Lebaudy et Anne-Elène Delavigne. Franck Pourcel y présente des photos originales. La publication de ce catalogue était accompagnée d’un livret jeune « Pasteurs éternels : les stéréotypes / Eternels pasteurs / les réalités », également disponible.
Bergers et transhumance, l’un des thèmes centraux du musée rénové
On retrouve les bergers et leur univers dans différentes salles du Museon Arlaten-musée de Provence. Ce musée a fait l’objet d’une importante rénovation, architecturale et muséographique et a rouvert ses portes en 2021. Cette rénovation a créé l’occasion pour revisiter les collections et leurs différents modes de présentation, notamment en matière d’élevage ovin. Sous forme de touches impressionnistes au fil des salles, ou de façon plus fouillée et dédiée, des objets-emblèmes, des personnages, des mises en scène témoignent des activités agropastorales en Provence rhodanienne.
Le personnage du berger est toujours présent dans le diorama de la Veillée calendale, avec son chien de garde affublé de son collier anti-loup, non loin de lui. Les rites du pastrage de Noël sont évoqués dans la salle festadiero, aux côtés des santons où la figure du berger reste incontournable (souvent, un jeune berger portant un agneau), jusque sur les assiettes à dessert santonnistes.
Et, une vraie surprise attend le visiteur au deuxième étage, au sein du Temps 4 du parcours permanent, une séquence conçue autour des principes muséographiques de Georges Henri Rivière, inspirés du théâtre. Une grande vitrine à l’esthétique saisissante crée l’illusion d’une transhumance à pied d’un troupeau de moutons et évoque une ancienne vitrine du Musée National des Arts et Traditions Populaires de Paris. Des contenus multimédias complètent cette présentation, à laquelle font écho, en fin de séquence, deux autres vitrines, avec objets en bois sculpté et outils de tonte pour l’une, cape de berger d’aujourd’hui et santon du « Coup de Mistral © » (par Santons Fouque) pour l’autre.
La 1ere rencontre des acteurs culturels de La Routo®
Le Museon Arlaten a accueilli le jeudi 27 avril 2023 les représentants des musées, écomusées, maisons de bergers, collectivités locales et services de l’Etat impliqués dans la valorisation culturelle de La Routo®, cet itinéraire de randonnée et de développement agritouristique courant le long des 540 km qui relient les plaines de Camargue et de Crau à la vallée piémontaise de la Stura, sur la trace des pastres et de leurs troupeaux.
Prises de contact, mises en réseau et enfin atelier sur le thème du classement de la transhumance au patrimoine immatériel de l’Unesco étaient au menu de cette journée initiée par la Maison de la transhumance, autour de son directeur Patrick Fabre et de Claire Dallemagne et Marie-Hélène Sibille.
Vingt-deux institutions des Bouches-du-Rhône, du Var, des Alpes-de-Haute-Provence et du Piémont ont été accueillies par Aurélie Samson, directrice du Museon Arlaten-musée de Provence.
En video
Les fiches pédagogiques sur les bergers et leur métier
Le musée propose aux enseignants des ressources pédagogiques et peut également construire des projets au long cours avec les classes. Contacts et infos dans la rubrique : Pour les enseignants
PORTFOLIO FRANCK POURCEL
Le Museon Arlaten a beaucoup travaillé avec le photographe Franck Pourcel, installé à Marseille, pour son expo "Bergers de Crau" de 2003. Nous avons depuis acquis auprès de l'auteur plusieurs photos récentes (2021) sur ce même thème de la transhumance. Des documents d'artistes... dont voici quelques exemples. Le site de Franck Pourcel est ici