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Portrait par M. Pernot

DU BOUMIAN AU GITAN : UNE PRÉSENCE TRÈS ANCIENNE EN PROVENCE ET DANS LES COLLECTIONS DU MUSEON ARLATEN

Chapeau
Tantôt sujet de fascination pour le mode de vie nomade souvent fantasmé qu’ils représentent, tantôt sujet de rejet en raison du toujours actuel stéréotype de « voleurs de poules » , les Gitans ne laissent pas indifférents. D'où l'enjeu de cette enquête : appréhender la communauté gitane arlésienne au-delà de ce que nous semblions connaître d’elle-même.
Corps
Gitane par Lelée
Un dessin de Léo Lelée, gitane pratiquant la vannerie.
Un dessin de Léo Lelée, gitane pratiquant la vannerie.

Les bohémiens sont attestés en Provence au XVème siècle mais c’est au XVIIème siècle que la figure du boumian apparaît dans les Noëls du poète-compositeur provençal Nicolas Saboly. Souvent en petits groupes, les Boumians vont donner la bonne aventure à l’enfant Jésus, en lisant les lignes de sa main. Au XVIIIème siècle, le personnage du bohémien est mis en scène aux côtés de celui du meunier, du ramoneur et de l’aveugle dans les premières crèches publiques mécaniques et parlantes que l’on retrouve à Marseille, personnages qui seront plus tard emblématiques dans la pastorale remarquable d’Antoine Maurel, célébrant la Sainte Nativité en Provence.

Au sein du Museon Arlaten, l’intérêt pour les boumians n’est pas nouveau. Mis en scène dans l’œuvre de Frédéric Mistral, Mes origines, mémoires et récits, ils incarnent des personnages vivant de petits larcins pour se révéler finalement plutôt sympathiques. Des représentations stéréotypées comme les santons aux visions plus romantiques dans les aquarelles de Léo Lelée, les Gitans sont présents dans les collections du Museon Arlaten depuis quelques décennies. Jusqu’alors, ces objets n’étaient pas une expression culturelle de cette population mais représentaient davantage la manière dont elle était perçue par les « Payos », les non-gitans.  

Pour approfondir la connaissance de l’histoire de ces Arlésiens à part entière, le musée commande en 2002 au photographe Mathieu Pernot une série de portraits, des tirages qui évoquent la tragique réalité « oubliée » des internés du camp de Saliers ; un travail qui amorce un nouvel intérêt pour cette population et surtout une nouvelle posture.

Enquêter – Collecter en terrain gitan : plus qu’ailleurs, une question de place à trouver

Portrait par M. Pernot
Portrait d'Adolphe Weiss, ancien interné au Camp de Saliers. © Mathieu Pernot, Cd13 - Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Portrait d'Adolphe Weiss, ancien interné au Camp de Saliers. © Mathieu Pernot, Cd13 - Coll. Museon Arlaten-musée de Provence

La présence de la population gitane sur le territoire arlésien et camarguais est rendue visible lors du pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, puis dès les années 1950, grâce aux chanteurs et guitaristes José Réyès et Manitas de Plata et à des personnalités telles que Lucien Clergue, Charles Chaplin, Salvador Dali ou Brigitte Bardot, qui ont contribué à médiatiser leur talent musical.  Ces multiples coups de projecteurs sur ces musiciens et leurs familles encouragent depuis des années les démarches photographiques, journalistiques ou cinématographiques auprès de cette communauté.  Aussi, désireux de donner une place à la culture et aux pratiques de la population gitane d’Arles au sein du Museon Arlaten et de ses collections, le service Recherche et Muséographie amorce prudemment en 2010 une enquête ethnographique auprès de cette population.  Tantôt sujet de fascination en raison du mode de vie nomade souvent fantasmé qu’ils représentent, tantôt sujet de rejet en raison du stéréotype de « voleurs de poules » dont ils font l’objet encore aujourd’hui, les Gitans ne laissent pas indifférents. Aussi, un des enjeux de ce travail était d’appréhender la communauté gitane arlésienne au-delà de ce que nous semblions connaître d’elle-même.  Dépasser nos évidences pour rencontrer au plus près les pratiques, les traditions de cette population était tout l’enjeu – plutôt ambitieux – face à une communauté qui suscite toujours autant de passions. 

L’enquête est confiée à Kristel Amellal, ethnologue au Museon Arlaten qui durant deux ans va développer un terrain ethnographique sur trois quartiers de la ville : la Roquette, le Trébon, le Quai des platanes.  Un bar de quartier, un centre social et une école primaire sont autant de lieux qui lui permettent de rencontrer différents membres de familles gitanes. Au cours d’entretiens semi-directifs, les témoins abordent leurs souvenirs scolaires, professionnels, familiaux et les rapports qu’ils entretiennent avec les non-gitans.

Malgré la réalisation d’une vingtaine de témoignages, le terrain ne prend pas toute sa dimension. De nombreuses difficultés persistent dans le déroulement de l’enquête : méfiance, évitement, rendez-vous manqués ponctuent de trop rares temps d’entretiens considérés comme « réussis ». La précieuse relation de confiance élaborée entre l’ethnologue et ses informateurs, essentielle dans une telle démarche, n’est pas constante et nécessite des réaffirmations régulières. Le terrain n’est pas acquis et la question d’arrêter l’enquête se pose de nombreuses fois.

Effectivement, inconfortable est la place de l’ethnologue quand celle-ci n’est ni attendue, ni un enjeu de reconnaissance pour la population qu’elle étudie : les Gitans d’Arles ne revendiquant aucune reconnaissance particulière de la part d’une institution culturelle telle que le Museon Arlaten. Néanmoins, une issue est favorable à cette situation lorsque l’ethnologue obtient un rôle au sein du groupe, se rend utile à la communauté.

Ethnologue et... vidéaste pour mariages gitans

Mariage gitan
Mariage gitan, Bellegarde, 2016. ©Kristel Amellal, Cd13 - Coll.Museon Arlaten-musée de Provence
Mariage gitan, Bellegarde, 2016. ©Kristel Amellal, Cd13 - Coll.Museon Arlaten-musée de Provence

Les mariages, appelés Késémen dans la communauté gitane, sont des temps forts de la vie du groupe, ils constituent une obligation implicite dont l’objectif majeur est d’assurer la reproduction sociale, une descendance. Souvent réalisé entre 17 et 23 ans, le mariage unit un homme à une femme de la communauté et permet de contrôler la sexualité et le désir chez les jeunes générations.

Bien que quelques mariages exogames (en dehors du groupe) soient possible dans certaines conditions, les mariages demeurent plutôt endogames et sont célébrés de préférence dans le cercle familial élargi, « entre familles » déjà unies par des mariages antérieurs. Comme l’évoque Martine Ségalen[1], « (…) le mariage  n’est jamais l’union de deux individus, mais l’alliance de familles issues de groupes sociaux de rang plus ou moins égal. »

Dans ce mariage, la virginité de la jeune fille demeure une condition fondamentale, elle sera vérifiée et attestée au cours de la cérémonie rituelle du mouchoir, pratiquée par une dame âgée de la communauté occupant une fonction honorifique. Cette pureté est alors symbolisée par le port d’une robe et d’accessoires, exclusivement blancs le jour du mariage, honorant notamment les hommes de sa famille, puis son mari et sa belle-famille.

Enjeu de réaffirmation de l’honneur familial et de l’identité du groupe, l’évènement mariage revêt une importance fondamentale dans la communauté. Il suscite de nombreuses discussions, réveille des histoires familiales, des commentaires sur l’organisation générale, sur la réalisation de la robe de mariée, etc.

De même que les mariages non-gitans, les mariages gitans font l’objet de photographies et de captations vidéo, que les femmes ont ensuite à cœur de conserver et de revisionner une fois l’évènement passé. Aussi, le recours indispensable des familles à un photographe et/ou un réalisateur de films est une opportunité de choix pour obtenir une réelle fonction dans la communauté.

Ce nouveau positionnement donne un second souffle à l’enquête et permet d’ouvrir véritablement le terrain ethnographique qui se révèle extrêmement riche tant par les entretiens et films nouvellement collectés que par les relations et la confiance nouées parmi les familles gitanes arlésiennes.

L'enquête s'est terminée en 2017.

[1] Eloge du mariage, Editions Gallimard, 2003.

mariage gitan
Mariage gitan, Chateaurenard, 2012. Sébastien Normand, Cd13-Coll. Museon Arlaten-musée de Provence
Mariage gitan, Chateaurenard, 2012. Sébastien Normand, Cd13-Coll. Museon Arlaten-musée de Provence