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Fête du costume 2008

LE COSTUME D’ARLES : IDÉAL DE FÉMINITÉ OU SENTIMENT DE PERTE D’UNE CULTURE ?

Chapeau
L’Arlésienne est devenue une icône publique, présente dans des manifestations festives, rituelles, officielles. Mais que signifie de nos jours “se coiffer en Arlésienne” ? Comment le costume est-il vécu au présent ? L’Arlésienne porte la difficile mission de transmettre et maintenir les traditions provençales d’une manière sûrement féminine : à travers le corps.
Corps

l'apprentissage du costume

Donner à voir publiquement l’Arlésienne est le résultat de nombreuses pratiques. Le costume participe à la construction et à la permanence de la féminité à toutes les étapes de la vie d’une femme : petite fille, jeune fille, femme, mère, grand-mère, … Les passages d’une étape à une autre sont marqués de façon officielle ou informelle.

Visuel Film Costume d'Arles

Mireieto

Depuis 2010, la cérémonie des Mireieto, marque le passage pour les fillettes de 7-8 ans du bonnet à la coiffe de Mireille (coiffe « en cravate »). Les fillettes sont invitées à des ateliers présentant diverses pratiques et incorporent les codes d’une certaine féminité ainsi qu’un ensemble de valeurs traditionnelles, intériorisées dans les activités de costume.

« Etre élégante en Arlésienne, cela s’apprend : c’est une initiation longue et exaltante. Ce beau chemin, le Comité des Fêtes d’Arles se propose de le ponctuer d’une étape festive, un rite de passage entre deux âges de la vie, de transmission entre les générations au moment où les fillettes laissent bonnets et cheveux longs pour la cravate et les bandeaux » (Extrait de la présentation des Mireieto, Comité des Fêtes d’Arles)

 

Festo Vierginenco

En 1903 s’institue, sous le patronage de Frédéric Mistral, une cérémonie pour le passage des jeunes filles à l’âge adulte, s’engageant à transmettre le costume du pays d’Arles à leur fille et à le maintenir toute leur vie. Ce rite de passage marquait l’entrée dans l’âge adulte.

Aujourd’hui, chaque été aux Saintes-Maries-de-la-Mer, la prise du ruban constitue, pour les adolescentes, une confirmation de leur engagement dans la maintenance des traditions provençales, qui aboutira peut-être à une candidature au titre de reine d’Arles.

« Je trouve que c’est important… pour des petites filles qui portent la cravate depuis longtemps de prendre le ruban, ça signifie qu’elles deviennent quelque part des jeunes filles, ça fait passer un cap… »

Transmission

La préparation du costume et de la coiffe sont des moyens privilégiés de communiquer avec d’autres générations. Des jeunes femmes communiquent avec émotion les liens qu’elles tissent avec leur mère et leur grand-mère à travers le costume d’Arles. Les trois générations s’unissent fréquemment pour concevoir, choisir, coudre, préparer et défiler.

« Pendant que je les coiffe, je leur raconte ma propre mère »

Distinction

L’appropriation du costume est un long cheminement, Il permet d’abord de se sentir comme un être à part, de se distinguer des autres femmes. Certaines se sentent naturellement légitimes, portant quelque part l’héritage d’une certaine forme d’aristocratie locale. D’autres vivent le costume comme une conquête, tout d’abord de leur féminité, mais aussi sociale et culturelle, exprimant leur attachement au pays et aux traditions malgré leurs origines diverses.

« ça met la femme en valeur, même si on est un peu ronde comme moi, on n’est plus la même quand on porte le costume. C’est magnifique. »

Identité héritée ou acquise

Peut-on être Arlésienne sans être d’une famille du pays d’Arles ? Rien n’exclut la possibilité d’un apprentissage plus complexe et fastidieux pour les femmes qui « n’en sont pas ». Etre Arlésienne de costume peut être l’expression d’une identité héritée, mais peut également marquer une inscription volontaire dans un pays (Arles, la Provence, la Camargue).

« Je suis ma propre grand-mère : j’ai rempli mes armoires… »

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LE SENTIMENT DE PERTE CULTURELLE

Fête du costume 2008. Gardian et Arlésienne à cheval
Fête du costume 2008 © Florie Martel
Fête du costume 2008 © Florie Martel

L’Arlésienne semble être une allégorie de la vie passée, faisant référence au monde préindustriel, rural, chrétien et mis à mal depuis le XXe siècle. L’enquête montre à quel point le passé est au centre de l’identité régionale et forme la clé de voûte de l’Arlésienne. Explicitement présent dans le costume féminin, il ne participe pas seulement d’une quête de légitimité ou de la création d’une identité collective, mais bel et bien d’une critique explicite, ou en négatif, de la perte culturelle, perte des particularismes, des repères sociaux et identitaires.

Un costume codifié

Les chartes des costumes de gardian ou d’Arlésienne fixent des règles de respect de la tradition. Les codes, le canon, diffusés par les groupes ou des personnes influentes dans le milieu, forment une garantie de respect du costume.

Authenticité

La notion d’authenticité est au cœur de la pratique du costume et illustre le rapport au passé, que ce soit dans le port de pièces anciennes ou dans la reconstitution fidèle et documentée. L’Arlésienne s’identifie ainsi aux femmes d’antan. Cette problématique de l’authenticité dans la tradition fait émerger la relation entre la reproduction et la création, la tradition et l’innovation.

« Ce que m’a appris le costume : un respect. Un respect pour la vie passée, pour les gens passés. Un respect pour les traditions, un respect pour l’habit lui-même parce qu’on essaie d’être au plus juste par rapport à ce qu’on a vu et ce qui est écrit dans les livres »

Folklore et tradition

La distinction entre le folklore et la tradition est souvent opérée par les informateurs, considérant la tradition comme ce qui fait sens dans la famille et dans la communauté élargie, et le folklore comme une forme figée propre à la représentation. Parfois le terme de folklore est réhabilité par les acteurs de la maintenance, qui lui rendent alors son sens premier de « science du peuple » et, par extension, de connaissance de sa propre culture.

"Un trait d'union"

Fête du costume 2008, au Théâtre antique.
Fête du costume 2008, au Théâtre antique. © Florie Martel
Fête du costume 2008, au Théâtre antique. © Florie Martel
Dans le Temps 5, la vitrine qui relate l'enquête "Costume"
Dans le Temps 5, la vitrine qui relate l'enquête "Costume". Cd13 - Coll. Museon Arlaten© Lionel Roux
Dans le Temps 5, la vitrine qui relate l'enquête "Costume". Cd13 - Coll. Museon Arlaten© Lionel Roux

Invention de la tradition

On assiste à une volonté d’authentification des pratiques, notamment par le biais de l’invention de rituels. En effet, le costume est l’objet d’une hyper-ritualisation depuis le début du XXème siècle. Cette consciente « invention de la tradition », selon le terme d’Eric Hobsbawm (Hobsbawm et Ranger, 2006), par le monde de la maintenance revendique une forme d’indépendance et d’autodétermination culturelle locale.

« Ne croyez pas qu’on dénigre les autres régions ! Au contraire : il faut qu’on se prenne la main et qu’on soit tous solidaires pour maintenir chacun nos traditions et nos coutumes respectives sinon on va être banalisés, moins que rien et tout va s’éteindre… »

 

Folklore et résistance

Le regain d’intérêt pour le costume et le folklore en général révèle un sentiment de perte des repères identitaires et un besoin de préservation et d’affirmation de la culture locale et traditionnelle. La perte des particularismes et de la diversité culturelle est associée à la mondialisation libérale, qui uniformise. La mise en scène des traditions serait un moyen de maintenir la culture sans qu’elle soit trop influencée par la culture dominante.

« C’est un bel hommage à nos anciennes […] C’est un trait d’union pour ne pas perdre tout ce qu’on perd actuellement dans notre société de consommation » (Mouriès)

 

Une mise en scène « authentique »

Culture en soi et pour soi, le folklore provençal mistralien existe avant tout pour le besoin interne de sentiment communautaire. Cependant, le regard extérieur compte beaucoup. La conscience de représenter une culture dans sa mise en scène « authentique », dans sa version officielle et admise, est toujours présente. Les acteurs du folklore se veulent les diffuseurs d’une vérité culturelle inaliénable dont les spectateurs ne doivent en aucun cas douter de la vivacité

« On veut pas être enterrés vivants, on veut toujours perpétuer les traditions […] » (Graveson)